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Dans « Nouvel Ouest » – N° 132 - de novembre 2006 Le 9 novembre 2006, les éditions MeMo publient Issu d'une famille Suisse, ce fondeur de métaux nantais est, entre autres, par Agnès Maginot. LES ÉDITIONS MEMO CONSACRENT UN LIVRE À VORUZ |
L'histoire des Voruz à Nantes commence en 1780, lorsque Pierre Siméon Voruz, artisan fondeur, arrive de Suisse pour s'installer dans la Cité des Ducs, alors en pleine mutation. En cette fin de XVIIIe siècle, le négoce du sucre, les manufactures d'indiennes et toutes les activités rattachées à l'exploitation de la voie maritime vers les Antilles rendent la ville particulièrement dynamique.
Attiré par ce dynamisme, Pierre Siméon Voruz est bientôt rejoint par son frère, Jean Samuel, qui pose son sac à Nantes vers 1790. Les frères Voruz travaillent pour la marine, fournissent des clous, des outils et de la quincaillerie aux chantiers navals. Ils fabriquent également des moulins à sucre et divers objets pour les plantations des îles, alors florissantes. Les deux artisans s'adaptent aux bouleversements nés de la Révolution et répondent à une demande émanant du nouveau gouvernement de la France : ils fournissent des petits canons et des fusils aux navires de l'armée républicaine. Leur entreprise artisanale et familiale est alors installée dans trois ateliers de petites dimensions, disséminés dans la ville. Dès qu'ils le pourront, les deux frères se promettent de modifier cette organisation malcommode et peu rationnelle. Après la tourmente révolutionnaire, les affaires reprennent... En plus de leurs traditionnelles productions, les frères Voruz obtiennent des commandes pour fondre des cloches. Ainsi, quelques églises nantaises et des environs sonnent avec des cloches produites par la famille Voruz : Sainte-Croix, Saint-Jacques, Saint-Félix... L'escalier du passage Pommeraye, à Nantes et le Rhinocéros en fonte de l'esplanade du Musée d'Orsay, à Paris (oeuvre du sculpteur Jacquemart) sont tous deux sortis des ateliers de la fonderie Voruz. |
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![]() Jean Simon Voruz dessiné par sa fille Emma |
En 1830, Jean Simon Voruz a 20 ans. Et pendant que la Restauration vit ses dernières heures, il accomplit un rapide tour de France, à la manière des Compagnons. Il en profite pour rendre visite à sa famille en Suisse. Jean Simon rentre à Nantes au début de l'été et reprend, avec son frère aîné, la direction de l'entreprise de son père, décédé. Lors des journées révolutionnaires de Juillet, les deux frères s'engagent. Assez libres-penseurs, favorables aux valeurs bourgeoises du travail et de la liberté, ils se mêlent à la foule qui conspue les ordonnances de Charles X. Des échauffourées ont lieu sur la place Louis XVI : Jean Simon est légèrement blessé mais son frère, atteint plus gravement, meurt quelques jours plus tard. |
Jean Simon dispose là d'un outil de production qui va lui permettre de devenir un grand entrepreneur. En France, à cette époque, la structure économique de la société change : la révolution industrielle est en marche. Les innovations techniques se multiplient, portant vers le succès des hommes issus du peuple, des ouvriers intelligents qui savent se hisser par leur travail et leur « génie inventif » vers une position de premier plan... Jean Simon Voruz est de ceux-là : il réussit à développer une entreprise industrielle qui fait de Nantes un pôle important de la métallurgie française dans la deuxième moitié du XIXe siècle (3).
Jean Simon Voruz rationalise, organise, planifie son activité professionnelle tout comme son existence. Il participe activement à la vie de la cité en devenant le premier président du Conseil des Prud'hommes nouvellement créé (1841). Puis, il est élu conseiller municipal de Nantes en 1848 (il siégera jusqu'en 1865), nommé député au Corps Législatif en 1859, avant de présider la Chambre de Commerce de Nantes entre 1865 et 1867... Jean Simon Voruz organise aussi une école d'apprentis afin de pouvoir fournir une main d'oeuvre qualifiée aux industries, alors en plein essor. Propriétaire de deux fermes, il en fera des fermes modèles. Opérationnel en 1854, le nouveau site de la Prairie-au-Duc témoigne bien de l'esprit pratique qui anime Voruz : il a choisi un espace assez grand et qui dispose d'eau pour alimenter les machines à vapeur. L'usine se présente selon un plan rectangulaire, avec des ateliers et des bureaux encadrant une vaste cour intérieure. Elle sera agrandie en 1865. À Mellinet ou à la Prairie-au-Duc, les établissements Voruz fournissent les rivets pour les voies de chemin de fer en construction, quelques locomotives, des grues actionnées par un moteur à vapeur, des machines, des plaques d'égout ou de voirie, du matériel agricole, des clous, des pièces de marine... La fonderie fournit toujours l'État pour équiper son armée. Ainsi, les premières mitrailleuses françaises sont fabriquées par Voruz. Cependant, les deux usines travaillent encore beaucoup sur de petites séries, des commandes exclusives, ce qui empêche Jean Simon Voruz d'atteindre une stature nationale. Néanmoins, il développe également la fonderie d'Art : de nombreuses statues sortent ainsi de ses ateliers. Voruz a beaucoup travaillé pour la ville de Nantes. |
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On retrouve aujourd'hui ses ouvrages dans toute la ville : les statues de la place Royale portent sa signature, comme l'escalier du passage Pommeraye ou encore la statue de sainte Anne sur la butte du même nom, sans oublier de nombreuses plaques de voiries, etc. Le grand Ouest recèle d'autres traces de sa production : on retrouve des bancs publics à Angers et une grue sur le port du Bono, dans le Morbihan. Sur l'esplanade du Musée d'Orsay, à Paris, deux grandes statues en fonte de fer, dorées à l'origine, sont sorties des ateliers nantais : le Rhinocéros et une allégorie de l'Europe. Il y a même une boîte à lettres signées Voruz dans l'Île de la Réunion ! |
![]() escalier du Passage Pommeraye |
Son petit-fils et héritier ne peut conserver l'usine qui commence d'ailleurs à donner des signes d'essoufflement, face à une concurrence devenue très dure. La fonderie est cédée en 1909 aux Ateliers et Chantiers de Bretagne. Au début du siècle, une nouvelle ère s'ouvre : celle des financier des sociétés anonymes. Les entreprises familiales et individuelles vont toutes, peu à peu, devoir s'adapter à cette nouvelle logique économique... Rhinocéros en fonte |
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La genèse du livre : à la recherche du passé industriel nantais « L'Industriel et la Cité ; Voruz, fondeur nantais » est le résultat de 6 à 7 ans de recherches approfondies, avec la participation de plusieurs intervenants. Tout d'abord un groupe d'étudiants de l’Université inter-âges : Christiane Boiton, Michel Blineau, Michel Danto, se sont passionnés pour la généalogie de la famille Voruz. II faut rajouter Michel Ecomard qui a également beaucoup travaillé sur les familles Etienne (sucre) et Voruz, liées par le mariage de la fille de Jean Simon, Emma, avec un fils Etienne. Cette famille leur paraissait assez représentative des évolutions de la société nantaise au XIXe siècle. Ces artisans, venus de Suisse aux environs de la Révolution française, vont s'installer à Nantes et y faire fortune, participant au renouvellement des élites de la ville et à la vie de la cité, autant par leur travail que par leur engagement politique. Le groupe de travail, dirigé par Marie Hélène Leray, a accumulé énormément de matériel documentaire : des actes notariés, des papiers d'archives municipales et départementales... II a également inventorié tout ce qui existait encore des oeuvres de l'entreprise... jusqu'au Chili ou au Portugal ! Madame Pirlot de Corbion, l'arrière-petite-fille de Jean Simon Voruz leur a également donné accès à ses archives familiales particulièrement riches. II y a trois ans, par l'intermédiaire de l'Association Entreprise et patrimoine industriel qui publie la colIection « Carnets d'Usines » dirigée par Laurent Huron, les chercheurs ont contacté Yannick Le Marec, maître de conférences en Histoire contemporaine à Nantes et auteur d'un ouvrage sur les transformations de la société nantaise à cette époque (4). Ils lui ont proposé la réalisation d'un livre. Yannick Le Marec élargit les premières recherches, les intègre dans un contexte plus large et trouve d'autres documents dans les Revues de la Société académique ou les Almanachs de la Société Industrielle. II va replacer l'histoire de l'entreprise Voruz dans son contexte économique et social nantais. Son travail a été mené selon trois axes essentiels : - l'entreprise Voruz a laissé des oeuvres encore visibles et utilisées, témoignant du passé industriel de la ville et représentatives de son patrimoine ; - le processus qui a amené de modestes artisans à posséder deux grandes usines modernes est totalement lié à celui de la ville qui se transforme, et la localisation même des usines (quartier Launay, puis îles de la Loire) a suivi la plupart des implantations industrielles de l'époque ; -Voruz a aussi été un acteur important de cette transformation de la société nantaise. Sur le plan économique, social mais aussi politique. Il est assez exemplaire de la mutation des élites urbaines à Nantes : les industriels vont remplacer et se superposer aux armateurs et au négociants... |
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![]() La fontaine de la Place Royale, à Nantes |
1 / Ce livre est le fruit du travail d'un groupe de recherche regroupé au sein de l'association Entreprises et patrimoine Industriel autour de Yannick Le Marec. 2 / "L'industriel et la Cité, Voruz, fondeur nantais", Yannick Le Marec, éditions MeMo, 2006, page 15. 3 / Voir à ce sujet le livre de M. Rochecongar « Capitaines d'industrie à Nantes au XIXe siècle », éditions MeMo, 2003. 4 /Yannick Le Marec, Le Temps de Capacités, les Diplômés nantais à conquête du Pouvoir dans la Ville, édition Belin, 2000. |
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